La gestion de projet, un mal nécessaire ?
Aborder un thème aussi vaste que les défis de la gestion de projet est un défi en soi. Si l’on essaie d’associer des mots au domaine de la gestion de projets, instinctivement on pense progiciels informatiques, infrastructures de transports, hôpitaux et autres grands projets. On pense aussi planification, organisation, outils de gestion pour livrer un résultat à la satisfaction du client, dans les délais, les coûts et la qualité prescrits. Pourtant la gestion de projet n’a pas forcément bonne presse, en particulier dans le domaine informatique. Quelques chiffres édifiants :
Dans un article intitulé « Les trois leviers stratégiques de la réussite du changement technologique » Yves-Chantal Gagnon[1] (2008) fait une recension des articles et travaux consacrés à l’apport des technologies de l’information et de la communication (TIC) dans la performance des entreprises. Bien qu’il y ait consensus pour reconnaître que le recours aux TIC est incontournable pour améliorer la compétitivité des organisations, l’auteur mentionne que 75 % des projets de changements technologiques sont des échecs[2]. De même, selon Céline Bareil[3] (2004), le taux d’échec des projets oscille entre 20 et 80 % en fonction du type de changement. Pour ce qui est des nouvelles technologies de l’information, ces taux d’échec sont de l’ordre de 50 à 75 %, pour culminer dans une fourchette de 60 à 90 % quand il est question de mettre en place des systèmes intégrés de gestion. La situation s’est-elle améliorée depuis ? Probablement, mais pas suffisamment. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire quelques gros titres de journaux[4]. La résistance au changement est souvent évoquée comme principale cause de ces échecs, à juste titre, mais à qui la faute ?
La prise en compte du sensible dans la gestion des projets
Si la gestion de projets a longtemps été orientée vers des applications pratiques de planification et d’organisation, le champ des sciences sociales est maintenant considéré comme indispensable pour englober la compréhension de la réalité fort complexe de la gestion de projet. Je citerai un extrait de l’article de Yves- Chantal Gagnon : « Comme l’a si bien souligné Siebeneicher (1987), ce n’est pas la technologie qui améliore la performance de l’organisation, mais bien la façon dont les humains l’utilisent (Ho, Patuwo et Hu, 1988)». On revient ici à la notion d’acception qui n’est pas une évidence ou une linéarité. Trop longtemps, les concepteurs de solutions TI ont estimé que c’était à l’utilisateur de s’adapter à la solution. Or, la recherche tend de plus en plus à placer l’utilisateur au centre du besoin. Romero et autres[5] (2016) ont mis en évidence que le succès d’un projet est étroitement lié, notamment, à la manière de gérer les attentes du projet, à la flexibilité des références du projet, à la gestion des valeurs ou encore à la présence des utilisateurs. Ainsi, Romero et autres, dans leurs travaux de recherche, parlent de « […] décrire une approche permettant d’augmenter la sensibilité des concepteurs et des développeurs des technologies par rapport aux besoins et exigences des utilisateurs finaux. »
De plus en plus d’organisations sont conscientes de cet écueil de l’acceptabilité et mettent en place des stratégies de gestion du changement. Mais, trop souvent encore, on peut constater que les départements des TI ont du mal eux-mêmes à intégrer ce changement qui les placent au service des lignes d’affaires. Pourtant, toutes les parties prenantes ont intérêt à développer un réel échange entre le potentiel d’efficacité que représente l’apport de NTIC arrimé à la prise en compte des besoins des utilisateurs pour optimiser la valeur ajoutée à produire pour satisfaire le client.
La gestion de projet, une culture à développer dans les organisations publiques
Un autre frein à la réussite des projets et au travail collaboratif des équipes est une certaine méconnaissance de ce qu’est la gestion de projet. En effet, la gestion de projet peut être perçue comme étant extérieure à l’organisation. On fait appel à des consultants pour une période définie, correspondant à la durée du projet et après leur départ, pour certains, la vie continue comme avant ou à peu près. Pourtant, en abordant bien des sujets sous l’angle du projet on s’aperçoit rapidement des bienfaits que cela peut apporter à une équipe. Il m’est arrivé, en marge d’un projet structuré, de réaliser la coordination et l’intégration des travaux d’écriture de rapports d’évaluations qui devaient être déposés à l’Assemblée nationale. La première année, lorsque j’ai organisé les tâches, un Gantt à l’appui, certains ont trouvé cela inconcevable et pensaient que j’allais surveiller leur travail, perturber leurs plans de vacances, etc. Pourtant, très vite, ils ont réalisé qu’il était important de donner une direction commune aux différentes contributions et surtout que chacun soit conscient de son rôle dans l’ensemble de la chaîne et du rôle des autres. Finalement, cette méthode a été plébiscitée et reconduite les deux autres années. De plus, les participants aux rapports ont développé des habiletés qu’ils ont réinvesti dans d’autres projets ou activités. En encourageant la culture de la gestion de projet, de fait, le dirigeant augmente la maturité de son organisation en la matière et peut mettre en place une politique claire de gestion des projets. Bernard-André Genest et Tho Hau Ngyen[6] (2010) considèrent qu’une politique claire de gestion de projet, basée sur les valeurs de l’entreprise est un des facteurs clé dans l’atteinte des mesures de succès.
La gestion de projet, une réponse à un management moderne des organisations publiques
Travailler en mode gestion de projet est aussi une magnifique école pour favoriser l’implantation du management collaboratif, visant à décloisonner les compétences vers un développement de l’intelligence collective. Avec la mise en place d’un mode de gestion par résultat (GPR) dans les administrations publiques au Québec[7], l’État vise à recentrer l’action des organisations vers un service efficient répondant au mieux aux besoins de citoyens. Dans un ouvrage consacré à la GPR, Bachir Mazouz (2017)[8] montre la nécessité pour les organisations de passer d’une organisation bureaucratique à une organisation décentralisée, où les dirigeants vont bénéficier d’une certaine autonomie de gestion. De même, le mode collaboratif et les structures matricielles devraient être privilégiées pour le fonctionnement des équipes. Le développement Agile de solutions illustre bien cette volonté de répondre avant tout aux besoins du client et de favoriser la mise en place d’équipes projets multidisciplinaires auto-organisées. Il suffit de se référer aux quatre valeurs du développement Agile[9] pour saisir l’importance des concepts fondamentaux de la méthode :
- Les individus et leurs interactions, de préférence aux processus et aux outils;
- Des solutions opérationnelles, de préférence à une documentation exhaustive;
- La collaboration avec les clients, de préférence aux négociations contractuelles;
- La réponse au changement, de préférence au respect d’un plan.
Tout ce mouvement s’inscrit bien dans une pensée moderne de la gestion des projets centrée sur l’humain.
[1]M. Yves-Chantal Gagnon et professeur, titulaire de la Chaire Bell en technologie et organisation du travail à l’École nationale d’Administration publique du Québec
[2] Source Gartner et le Standish Group
[3] Mme Céline Bareil est professeure agrégée au département management d’HEC Montréal.
[4] https://www.journaldequebec.com/enquetes/le-bordel-informatique ou encore https://www.journaldequebec.com/2019/05/24/le-tiers-des-projets-informatiques-en-retard
[5] Cahier de recherche (1),8-14. Récupéré sur chaire.esg.uqam.ca
[6] ISBN 978-2-980-9920-2-5 (Principes et techniques de la gestion de projets)
[7] Loi sur l’Administration publique de 2000.
[8] ISBN 978-2-7605-4834-3 (Gestion par résultats : Concepts et pratiques de gestion de la performance des organisations de l’État)
[9] Manifeste pour le Développement Agile de solution rédigé par Kent Beck, Mike Beedle, Arie van Bennekum, Alistair Cockburn, Ward Cunningham, Martin Fowler, James Grenning, Jim Highsmith, Andrew Hunt, Ron Jeffries, Jon Kern, Brian Marick, Robert C. Martin, Steve Mellor, Ken Schwaber, Jeff Sutherland et Dave Thomas.
Marie-Anna Saint-Prix
Chargée de projet senior chez ABna